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PCF LILLE/Cellule de Wazemmes
16 octobre 2007

Triste École

ce texte, écrit en 2002 par Vincent Cespedes, reste malheureusement d'une redoutable actualité...
ecole_pour_tousTriste École

L'école laïque périclite en banlieue. Incontestablement, à l'endroit même où la République prétend former le Citoyen, la violence sévit de façon plus ou moins flagrante. Y germe-t-elle pour autant ? Peut-on concevoir le milieu scolaire comme la matrice des incivilités, de la haine ou de la criminalité de certains jeunes issus de milieux modestes ?

" T'ar ta gueule à la récré ! " - La violence entre élèves a toujours existé. Mais s'il y a aujourd'hui rupture, si nous sommes passé du cancre teigneux aux bandes de voyous qui persécutent, dealent ou dépouillent, c'est parce que le personnel scolaire ne garantit plus l'ordre. La seule violence de l'école est celle-ci : elle ne tance plus la violence à l'école. Sa paradoxale violence est un seuil de tolérance ignominieusement élargi. Et au bout du compte tout le monde trinque, le maître avant l'élève.

Cela commence par les bavardages en classe, la plaie première, partout relevée. Rendre attentifs les élèves relève de l'exploit sportif et pratiquement infaisable. Causes de surface : zapping abêtissant, société de spectacle, effectifs trop élevés, niveaux hétérogènes. Tout cela est ressassé, rabâché, remixé dans les mille études essayant de comprendre la phénoménale débâcle d'une école qui, après trente années dégringolantes, n'en finit pas d'atteindre le fond du puits.

Mais les élèves décident de ne pas être attentifs ; leur seule résolution, leur seule activité ne réside d'ailleurs qu'en cet indiscutable refus. Par un nivellement vers le bas qui contamine les meilleures volontés, le joyeux bordel fait l'unanimité. Or, si ce consensus se maintient d'année en année et que les adultes demeurent face à lui impuissants, c'est que l'institution scolaire n'institutionnalise plus la légitimité de leur autorité, seule à même de faire régner une certaine quiétude sans appeler les Flash-Ball sarkoziennes à la rescousse.

Isolés par mille compétitions mesquines, culpabilisés par un proviseur-adjoint à la condescendance entreprenariale, les professeurs sont finalement laissés sans recours face à trente trublions secoués, ou trente gentils insecouables. Chacun survit alors comme il peut : tyrannie, ironie, séduction, chantage, je m'en-foutisme ou zèle hystérique, dépression nerveuse. Cette dernière, plus ou moins masquée par une chouette euphorie de circonstance, est le lot commun d'adultes pris dans le paradoxal étau de la politique scolaire : enseigner une discipline à des élèves indisciplinés, et, ce qui est le plus grave, indisciplinables.

Car l'écoute, le respect de la parole du maître, l'amour de la connaissance qu'il dispense réclament une calme concentration comme condition sine qua non. Le maître d'hier l'exigeait parfois en ayant recours à la manière forte. Mais les châtiments corporels n'ont heureusement plus cours depuis l'arrêté de janvier 1987, et les humiliations sont pareillement prohibées. Du moins dans le sens prof-élève, car il est assez fréquent de voir des " appreneurs " endurer la violence d'" apprenants " surexcités (insultes, menaces, crachats, coups, pneus de voiture crevés, etc.). Au XIXe siècle, Ernest Renan employait le conditionnel de l'improbable : " Une école où les écoliers feraient la loi serait une triste école. "

(L'Avenir de la science). - L'improbable est aujourd'hui devenu probant.

La violence scolaire naît d'une inversion inouïe des rôles : les maîtres subissent la loi des écoliers. Un cancre peut désormais prendre en otage une classe de bonne volonté et, en toute impunité, s'en donner à cœur joie pour instiller le " boxon " sans contrepartie efficace de la part de l'adulte. Despote arrogant et cynique qui fait piailler ses ouailles pour se fondre dans le vacarme ambiant et dormir du sommeil de l'enfant. Les dociles suivent à cause d'une double peur : celle, moutonnière, de s'exclure d'un groupe dont ils ne veulent pas voir qu'il n'est soudé par aucune passion solidaire, mais par la tremblotte générale ; celle aussi des représailles s'ils montrent quelque intérêt sincère pour la leçon, font leurs devoirs et lèvent la main. Loi du plus fort, loi du plus tarte.

Pourquoi, dès lors, cette dévalorisation de l'autorité adulte quand il suffirait d'en inculquer tôt le respect pour que cesse la mascarade scolaire d'une école faiseuse d'illettrés diplômés et incivils ? Quel intérêt trouve-t-on à creuser ainsi l'écart entre le public et le privé ? Pourquoi suivre les solutions des États-Unis (discrimination positive, contrôle continu, baisse des exigences, options) alors qu'elles ont mené leur système éducatif à la catastrophe ? A qui profite la violence d'une école ouverte à la violence ? Ces interrogations présupposent que la violence scolaire - rendue possible par la chute du maître de son estrade - serait le fruit d'une construction intentionnelle. Ce point essentiel mérite d'être démontré.

Contestant fort justement l'autoritarisme et le cours magistral, les soixante-huitards prônaient une école dans laquelle les relations entre les professeurs et les élèves seraient moins guindées, moins distantes, sans cérémonial hiérarchique et à l'écoute de la personnalité de chaque enfant. - Tentatives de tutoiements bilatéraux, de résolution des conflits par le dialogue, d'éveil à l'art et à la liberté. Les problèmes apparurent lorsque d'opportunistes carriéristes prirent la place des aînés dont la crédibilité avait été laminée. En amateurs de jargon psy, à la mode depuis les prestidigitations lacaniennes, ils s'autoproclamèrent " pédagogistes ", " scientifiques de l'éducation ", et délirèrent. Ces savants fous inventèrent cent théories et " schémas communicationnels " pour se maintenir, fadaises dont le seul trait caractéristique était de rester en adéquation avec l'esprit de licence qui flottait encore dans les têtes. Aussi extirpèrent-ils de leurs dogmes flambants neufs les exercices répétitifs, l'assimilation d'automatismes, les leçons apprises par cœur. Les dégâts prévisibles ne se firent pas immédiatement sentir : les maîtres, qui étaient formés à l'ancienne école, continuaient d'enseigner à leur manière et les doctrines cinglées des nouveaux mages n'avaient aucune prise sur eux. Mais ces maîtres prirent leur retraite et furent remplacés par de frais émoulus de la nouvelle école. La création de l'IUFM (Institut Universitaire pour la Formation des Maîtres) vers 1990 valida institutionnellement le dogme inepte de l'égalité contractuelle entre adulte et enfant.

Voici donc le professeur nu. Le voici continuellement renvoyé à ses devoirs, rendus publics au nom de la transparence et déclinés à qui mieux-mieux par les élèves eux-mêmes. Transparence castratrice qui lui retire le pouvoir d'enseigner des mains, nivelle son privilège hiérarchique, l'oblige à quémander, biaiser, vociférer, faire de la démagogie et se justifier sans cesse. Il se retrouve face à un tribunal qui fait le procès de son autorité - il y perd prestige et santé.

Le professeur ne reçoit plus l'autorité d'en haut (statut, diplômes, supérieurs, vocation) : il doit tout le temps la négocier. S'il se plaint de n'être pas respecté par ses élèves, on se contente de lui rappeler qu'il doit d'abord les respecter ! Telle est, au bout du compte, l'unique violence de l'école : le meurtre symbolique du maître, tombé de son estrade imaginaire puis lynché par une société qui, tout en " professionnalisant " sa profession, lui refuse en fait le droit d'instruire et conçoit son autorité comme une violence arbitraire, un scandale ancestral, une imposture.

Pourquoi l'autorité des enseignants n'est-elle donc plus instituée par les discours officiels ni soutenue par l'opinion ? Pourquoi subit-elle au contraire une campagne politico-médiatique de diffamation et de délégitimistation ? Les parents d'élèves seraient aujourd'hui les seuls à pouvoir redorer le blason du maître en lui déléguant leur pouvoir symbolique, leur autorité. Hélas !, les parents ont succombé à la propagande libérale qui veut faire du maître un employé comme tout le monde, un livreur de Bac, un vendeur de prestations et de services. Ils ont de lui l'image du glandeur que la politique libérale veut lui coller au dos, du " dégraissage " d'Allègre à Schröder, qui traite joliment la profession de " faule Säcke " - " tas de fumistes ". Glandeur tout de même méritant : qui ne connaît pas La Verrière, la clinique des profs rendus barges par des élèves restés " oufs " ?

Résumons pour conclure : la violence de l'école laïque de banlieue consiste à tabasser l'autorité du corps professoral - dernier rempart contre la médiocrité -, ce qui rend alors l'école perméable à la violence de la cité et compromet toute mission éducative en son sein. Le résultat peut satisfaire la classe dominante : une éducation de façade pour fils de pauvres, destinés - malgré la bonne volonté acharnée de certains professeurs - à devenir les travailleurs jetables et les chômeurs honteux dont le néocannibalisme libéral a besoin. Que les parents sortent donc de leur résignation ! L'asthénie ou la violence de leurs enfants ne sont pas une fatalité, mais les scories d'un système subtilement discriminatoire qui fait de leur école détraquée le lieu d'incubation de la servitude consentie. Et contre le cynisme général les professeurs intègres restent, plus que jamais, leurs plus essentiels alliés.

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